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\ Sophie TESSIER – « Dentelle »

« Passé un certain âge, les cheveux longs, ça vieillit.

- Ils ne sont pas si longs, maman. »

Elle les sent à peine sur ses épaules, légers, mais secs, tellement plus secs.

Ce "v", ce "i", ce "e", ce deuxième "i", ce "ll" se sont bien imprimés en elle. Ils lui retournent le ventre régulièrement. Le "ll", surtout, est douloureux. C’est lui qui fait couler tous les traits du visage et la peau des bras vers le bas.

Pourtant un souffle de sensualité flotte sur les pas de Nathalie. Chaque couloir de la multinationale qu’elle codirige aujourd’hui porte l’empreinte de son ardent déhanché de couleuvre, de ses jupes de tailleur ajustées au millimètre et des soupçons de broderie noire savamment introduits sous ses chemisiers cintrés. Ne baissez pas le regard. Ses deux amandes noires de reine égyptienne suffisent à vous faire digérer la plus descendante des courbes graphiques.

 

« Elle a la grâce, la garce » marmonnent de piquantes secrétaires sur son passage.

 

Seule, face au miroir, ce soir, Nathalie sait qu’elle n’ira pas plus haut, que les nouvelles venues sont des rivales délicieuses.

 

Ce soir, elle est cette diva qui retire sa perruque dans sa loge et craint de se démaquiller, cette diva qui voudrait rester sur scène, à une distance parfaite des premiers regards juges.

Vertige. Ventre creux. Vide aigre circulant des amygdales au pubis.

Armoire pleine de robes échancrées. Chiffonnier plein de lingerie affolante. Ecrins pleins de perles fines. Gorge pleine de nœuds.

Nathalie voudrait se débarrasser de cette enveloppe charnelle passée en trop peu de temps de l’innocence d’Alice aux froncements de l’odieuse reine.

Les plis de malice au coin de ses yeux deviennent de multiples fissures où la fraîcheur ne pénètre plus. Au milieu, la colère s’installe, la sévérité s’affiche. Son sourire est quant à lui désespérément prêt : le chemin est tracé. Ses poignets frêles ont trop porté, trop tenu, trop fléchi, tandis que ses chevilles ne supportent plus avec la même élégance la subtilité de ses hauts talons.

 

Ce soir, son pot de crème et son tube de sérum réparateur voudraient s’appliquer en couches et en surcouches pour qu’elle oublie que sa vie n’est plus résumable en cinq courtes phrases.

 

Nathalie serre contre elle la dentelle de son porte-bonheur. Elle lève le regard et son reflet l’étrangle. Elle enlace son ventre resté tristement vide. Elle dépose ses mains plus bas, là où elle s’est habituée à recevoir les élans d’hommes éperdument perdus. Ressaisissez-vous. Aimantés par sa peau brune et chaude, affaiblis par son aura, ils sont passés par cette salle de bain. Et chacun leur tour, ils lui ont dérobé une once précieuse, et l’ont plantée face à cette glace.

 

Bientôt, personne ne viendra plus rien voler dans cette pièce. Bientôt, elle aura le choix entre la bibliothèque ou le parc, le tricot ou la marche, l’ouïe ou la vue, être désirable ou ne pas être.

© 2020 - tous droits réservés - anne ducamp
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